J’ai rencontré le monde de Dalí à douze ans, dans son berceau, Figueres. C’est une journée gravée dans les quelques dizaines qui marquent une vie : je me souviens encore du débardeur kiabi bleu-jean que je portais, c’était sortie de classe, un arrêt court sur le retour de Barcelone et la première fois qu’un garçon assis à une terrasse tentait une dragouille jusqu’à savoir mon âge (les seins anachroniques, hommage). Sauf qu’il en avait vingt et que les copines autour ont dit “viens allez on se casse il commence à bander dans son jean”. Je crois que c’était vrai mais j’en savais trop rien. Innocence, inconscience.
Revenons à Dalí. J’ai le souvenir vague de ce château complètement dingue, avec surtout les sensations, d’un rêve, de chocs, de l’étendue créative devenue possible. Je ne me rappelle pas les toiles mais des couloirs blancs et des crayonnés, du canapé avec ses lèvres rouges. L’ensemble du voyage portait brin de folie pour adolescente débutante : plongeon dans Barcelone, face à face avec les extravagances de Gaudí, et Dalí donc, en point d’exclamation final.
Je n’ai pas su me défaire de la ville, Barcelone, au point d’y retourner trois fois en
core. Gaudí reste fascinant. Et j’ai revu Dalí à Barcelone même (Poble Espanyol), à Madrid et… à Paris hier. Tant de divagations pour atterrir au Centre Pompidou, où l’affluence de cette grande exposition n’était (heureusement) pas siii folle qu’annoncé. De toute façon pour tenir dans la file j’avais prévu l’amie Kobo, et l’histoire des sorcières dans laquelle je suis enrobée.
Je suis perplexe à l’idée d’avoir un avis sur ce que j’ai pu observer. Il n’y avait plus autant d’étonnement. Il y avait les gens qui se passaient devant, et entre les tableaux. Il y a le personnage de l’artiste que j’avais toujours occulté dans mon attachement aux images. Des références en tas, de la cérébralisation qui n’avait dans mes yeux d’ex-ado rien à s’incruster là. Alors que si, dans le monde des adultes, on calcule, on analyse, on conteste, contexte, on se divise et se psychanalyse… Ah c’est intéressant, bien sûr, de connaître la guerre, les tendances, les mythologies les symboles. Mais que fait-on de l’innocence ? De l’inconscience ?
L’intérêt à mes yeux de côtoyer ces étrangetés, c’est d’y découvrir le visage de sa propre folie. D’apprécier la manière de traiter la lumière dans les compositions, la force des couleurs éveillant la sensibilité pour lire dans les signes les lignes d’un monde allégorique né d’une interprétation personnelle, unique.
C’était un peu chargé, cet après-midi de janvier, pour vivre une telle expérience. Le temps compté bien que large, l’agitation autour, l’audioguide à la main… Je me suis cultivée, j’ai nourri ma curiosité, mais je n’ai pas senti ni le vent de délire du printemps 2001, ni l’attardement de l’aube de l’été dernier à m’interrompre un long instant devant / derrière sa soeur à la fenêtre ouverte dans la salle quasi vide de la Reina Sofia. Une fenêtre, dans un mur : idée si simple, innocente et si source d’évasions inconscientes au possible…