Le titre fait trembler mais c’est une manie de l’esprit qui me tient très à cœur…
“Le chemin s’est perdu en cours de route, c’est donc qu’il y a une route.”
Je lis Rapport sur moi de Grégoire Bouillier, avec un plaisir partagé. Preuve s’il en faut une : il pèse 127 pages et je ne l’ai pas lu d’une traite, je l’ai fermé ce soir pour la -au moins- troisième fois, page 87 sans brûler de savoir le fin mot de l’histoire. Car le récit du personnage m’importe peu, il pourrait s’arrêter là, manquer des pages ou durer des années, cela m’irait tout aussi bien.
Ce qui m’accroche à ce “ni autobiographie, ni roman, ni autofiction”, c’est l’œil du narrateur qui lie les évènements du passé à ceux du présent comme autant d’indices au service d’un destin. Pas un grand destin non, c’est du type rencontrer une fille dans un train qui va s’accrocher à lui comme les staphylocoques dorés contractés en léchant la vitre d’un autre train des années plus tôt. L’éditeur le dit mieux que moi :“… l’auteur scrute avec autant de sincérité que d’humour quarante années d’une existence accidentée. Il met au jour les lois souterraines qui la régissent mystérieusement…”.
Le type de décorticage du quotidien que je fais sans cesse, qui mène aux portes de la folie parfois, car l’interprétation de chaque geste présent amène un effort de mémoire et de projection, d’interprétation. Car chaque mot, chaque pas, chaque lieu ou l’on se trouve peut avoir une incidence dans un mois, un an, dix ans. C’est une manie qui freine les décisions, quand les signes ne désignent pas une seule direction, quand aucun sentiment d’évidence ne reprend le dessus.
Portes de la folie aussi, car dans ma sémiologie du quotidien il y a
- des signes dits rationnels, flirtant avec l’analyse psy : manifestations physiques, écho de l’enfance dans les relations, les angoisses etc.,
- des signes intermédiaires posés dans l’entre-deux : rêves, notes de blog confuses, poèmes obscurs, discussions imprévues, citations griffonnées…
- mais aussi des myriades de signes irrationnels que je ne peux ignorer : l’image d’illustration de ce sujet tombée comme une fleur dans ma boîte mail pendant que je l’écrivais, titres de journaux lus comme des horoscopes, mots ou phrases en boucle dans la tête, chanson suggérée au cours d’une playlist aléatoire, noms de rues, suites numériques, initiales, présence ou non d’un ou plusieurs lapins dans l’herbe sous la station aérienne Les Prés du métro lillois… On s’approche de la psychiatrie façon Courir avec des ciseaux d’Augusten Burroughs, dans lequel la Bible ouverte au hasard répond à toutes les questions d’une famille.
En rédigeant ce fouillis, s’éveille en moi le sentiment qu’il revêt un aspect plutôt contradictoire : rien n’est là par hasard, mais tout peut venir du hasard. C’est mon côté surréaliste maniaque. Qui aime écrire sans réfléchir, et voir naître le sens des mots a posteriori.
Tandis que l’exercice d’anticipation, …est un tout autre sujet.
{Là par exemple, j’avais écrit “Tandis que l’exercice d’anticipation,” sans aucune idée de la suite, une évidence m’est tombée dessus après la virgule, trop importante pour la grouper avec cet article, j’essaierai d’en faire le thème du prochain.}
Une deuxième citation du livre en cours, pour la route, puisqu’il y a une route… “J’ai le sentiment qu’il est trop tard. Il ne me quittera plus.”