On est tous enfants face à la médecine.
Je rentre les yeux humides, le bras gauche en vrac, et le moral en berne. On pourra dire que je suis trop sensible, que le monde adulte n’est pas comme un grand plaid tout doux, je m’en moque bien j’étais chez un médecin.
Dans mes souvenirs le docteur avait une vieille maison de ville avec un grand couloir, comme la mienne, à gauche la salle d’attente, à droite le cabinet, plus loin c’était chez lui on n’allait pas y regarder. Le docteur avait de grandes mains, un air sérieux et souriant à la fois, accueillant. Il disait “qu’est-ce qui vous amène ?” avec un ton légèrement étonné qu’on entendait comme un “vous n’avez pas si mauvaise mine”. Il avait le temps d’écouter les grosses déprimes, d’ausculter de la tête aux pieds et hop un tour sur la balance même quand on venait pour un rhume qui traaaîne en longueur. Il connaissait des spécialistes et les recommandait, pouvait même arranger des rendez-vous, suivait toujours l’enquête quand on nous suspecte une maladie rare. Il s’inquiétait, il rassurait. Il disait au revoir et nous serrait la main en nous raccompagnant dans le couloir.
A l’hôpital aussi, même les pédiatres les plus speed avaient de la considération, ce qui n’empêche en rien d’être efficace. Au début j’étais étonnée de celui qui dictait son compte-rendu en fin de rendez-vous dans un dictaphone, mais j’appréciais qu’il s’arrête à chaque fin d’idée pour attendre notre confirmation, même juste d’un hochement de tête vers le regard, ça validait qu’en termes d’infos on était d’accord et au même niveau.
Puis j’ai grandi. Puis j’ai déménagé. Puis il y a eu des accidents avec plusieurs praticiens.
Après la pédiatrie, pour les maladies rares, fallait aller voir un médecin d’adulte, toute seule. J’avais 18 ans j’avais voulu donner mon sang et j’avais découvert que le traitement que je prenais à vie était à éviter en cas de grossesse pour risque de malformations de l’enfant. J’étais perdue je voulais des réponses, des alternatives, des solutions. Il m’a dit que de toute façon, ce n’était pas le moment d’y penser. Je n’y suis jamais retournée.
Pour rester dans le thème des accidents j’ai percuté quelques gynécologues dont une que je n’oublierai pas. Qui repartant vers son bureau, moi sur la table, a dit “J’vous ai bien fait saigner”. A la limite ce n’est pas la phrase qui dérange mais le ton et le regard façon “ma pauv’ fille” en tendant un rouleau de papier pour que je me rhabille aussi bien que possible. Honteuse. Alors qu’elle n’avait pas une piste c’était à moi que j’en voulais. Puis on m’a présenté une dame qui donne des pilules comme une guérisseuse. Puis j’ai déménagé. Trois ans que je n’ai pas osé franchir le pas d’un nouveau cabinet.
Les dentistes ont mauvaise image mais là j’ai toujours tenu bon. Malgré l’appareil à radio qui est en panne parce qu’il fait plus de 23 degrés faudra revenir cet hiver pour vérifier que le plombage est bien fait. Malgré, quand ma dent a commencé à partir en morceaux, que ce n’était pas grave le reste tenait bien. Malgré, quand la douleur a rappliqué d’un coup pointu en mangeant du pain, qu’il a fallu cinq jours pour avoir rendez-vous, les standards de tous les dentistes du centre-ville étant fermés le jeudi. Malgré, quand il a regardé la radio après un ça devrait aller, qu’il ait demandé “ah mais vous avez eu mal, vraiment fort ?” Ah oui elle est fendue jusqu’à la racine maintenant à cause de ce plombage d’été va falloir l’enlever. Je tente de poursuivre avec ce troisième dentiste mais, quand j’y retourne pour faire soigner une carie visible, il m’annonce à la fin du rendez-vous qu’il en a soigné quatre autres (fictives ?) que ça fera plus de 100€ alors qu’il sait que j’attends une réponse de la CMU, et qu’il faudra revenir plus tard pour celle qui fait mal ce n’était pas pour aujourd’hui. J’y suis retournée car ça faisait mal, et voilà, le lendemain je déménageais.
Il n’y a pas eu que des mauvaises aventures, il y a cette dame qui donnait du myolastan quel que soit le symptôme parce que je suis “une stressée de la vie” mais avec un bon fond. Je me demande ce qu’elle est devenue depuis le retrait du marché (décollement généralisé de la peau, l’effet indésirable qui rajoutait du stress). Il y a eu des “neutres” qui renouvellent les ordonnances et conseillent sur les petits soucis.
Puis j’ai déménagé. On dirait que c’est la quinzième fois mais jusque là c’était en désordre, seulement trois.
En dehors d’une maladie identifiée et de ma contraception, je suis plutôt en bonne santé. Je vais rarement voir le médecin j’attends que la grippe passe, que la toux passe, que le mal de dos passe, en général tout passe. Restent les ordonnances, ah et un rappel de vaccin auquel on n’avait pas pensé, et un renouvellement administratif, si peu.
Je rentre aujourd’hui secouée parce que pour moi un médecin ne rentre pas dans son bureau après avoir sorti le patient d’avant sans vous inviter à le suivre, dit bonjour, ne mâche pas de chewing-gum, ne le recrache pas dans sa main, ne dit pas “vous avez quoi ?” sèchement comme phrase d’accueil, ne menace pas de ne plus prescrire la pilule en cours en débitant à 100 à l’heure sans laisser le temps d’expliquer le parcours chaotique qu’on a eu jusque là, ne répond pas à des journalistes au téléphone de longues minutes pendant la consultation, ne leur dit pas qu’un patient est “vendeur” pour un reportage parce qu’il a une maladie grave et visible, ni que la vie des médecins faut pas croire que c’est “le renouvellement de la petite…” mais qu’on passe une heure en visite pour des soins palliatifs tout le temps, il ne dit pas ça devant un patient, surtout pendant un rendez-vous de type suivi de maladie longue, surtout lors du premier, non mais 33€ vous voyez y’en a marre de bosser gratos, il ne revient pas après avoir expédié son vaccin, ajouté qu’on avait vieilli, passé 25 ans pour les grossesses et les pilules tout change faut vite y penser, et sinon j’en étais où, ah c’est bon, faut que je me dépêche je suis en retard, il vous fallait autre chose, un dossier à remplir faites voir, faut que je mette quoi ? et le vaccin ? bah ça va vous faire mal comme si vous aviez fait un tennis c’est tout (merci je suis gauchère, oui même sur l’ordi). Il ne part pas demander des photocopies et chercher le patient suivant avant que vous soyez rhabillée vous n’avez qu’à descendre chercher vos papiers à l’accueil. Un médecin dit “au revoir”.
On n’est pas du bétail il existe la politesse, le respect, l’écoute. Le minimum.
Certains sont capables en urgences de ne pas courir et en un rien de temps vous posent et rappellent l’essentiel, avec humanité simple. Et dans la même ville, et dans le même bureau.
Pourquoi d’autres semblent expédier les cas sans les regarder ? On pourrait trouver mille raisons, le contexte politique, la difficulté réelle que je ne nie pas j’ai lu des témoignages côté médecins qui n’ont pas à rougir.
Mais j’écris aujourd’hui avec de la colère car j’imagine ces situations multipliées par des milliers, qui blasent les médecins, qui blessent les patients, qui évitent les médecins, qui se limitent aux urgences, qui n’en peuvent plus, cercle vicieux.
Il reste le fait que même adulte et sans symptômes visibles sur le bout du nez, on reste malade, donc faible, et dans l’attente d’un temps d’échange pour comprendre les problèmes et y trouver des solutions. Tout simplement.
Qu’aujourd’hui au regard de ces quelques expériences, des échos de mon entourage, de ceux qu’on trouve en ligne, j’ai peur d’aller chez un médecin, je n’ai plus de confiance par défaut. Le peu qu’il restait a été sérieusement abîmé aujourd’hui.
L’enfant malade en moi ne peut compter que sur lui-même ; avec son gros dossier sur le dos il cherche une veille maison.
Je sais qu’elles existent encore, j’espère en trouver avant d’y mener (croisement de doigts : le moins souvent possible) mes propres enfants.