Les prétextes à sortir sont bien moins variés que nombreux, il était donc histoire d’un aller simple vers Lille et d’un photomaton. Quand j’ai de nouveau perdu pied.
Attendant le premier, dix personnes devant moi, j’ai détourné par les rayons de la Fnac, Italie 2, Paris c’est pas loin de chez moi. Je n’avais pas de but et j’observais les gens, les livres qui croisaient mon regard, j’happais des bribes de discussions les oreilles déguisées d’écouteurs débranchés. Je n’avais pas de but, j’attendais autre chose.
Je me suis demandée ce qui me renversait, ce qui comptait vraiment ; voyant l’intérêt des passants pour ces tablettes, mangas, romans… Evidemment la question sentait fort le piège : ne me renverse-t-elle pas elle-même ? Pas plus que la réponse. Ou la difficulté de trouver des réponses.
J’ai mis dans la balance les sentiments, leur fulgurance. Les sensations de fuite qui retombent sur leurs pieds. Les tourbillons de mots. Les instants électriques. Se poser des questions. Ne pas trop oublier.
Rien de concret ? Si peu. Mes proches évidemment, quelques livres importants, des babioles en cartons, des lieux, mais c’est si lié à la mémoire…
Je ne sais pas choisir, j’ai des passions multiples mais rien de renversant. Tout m’intéresserait quand l’humeur s’y prête. Rien ne vaudrait la peine de s’y jeter à l’eau, dis-je quand j’en ai trop sur le dos. Rien ne vaudrait la peine d’en vivre. Tout est si attaché, à un milieu, des codes, méthodes… sauf à rester chez soi et ne pas avancer.
Je ne vois pas d’espace où me sentir à l’aise. Et je sais tout autant que je m’adapterais dans toutes les boites carrées, jusqu’à en étouffer.
La file d’attente s’est écourtée, le photomaton m’aurait dévorée, bref je suis rentrée en chantant, marchant sur les deux pieds avec la sensation d’écraser mes racines.
C’est comme si j’étais toujours une enfant croyant au prince charmant, croyant à l’évidence, non pas amoureuse mais pour tout le reste. Le travail, les passions. Ça me tuerait qu’adulte on n’ait plus droit à ça, sachant que j’ai connu plusieurs fois ces virages, en chemin, le panneau clignotant “ta voie pour cette année c’est de ce coté là”. Est-ce justement ce fait de ne plus raisonner de septembre à juillet ? De ne plus avoir l’échéance implacable, du choix de la suite juste avant l’été ? De se dire celui-là si j’y vais c’est pour toute la vie, qui fait n’aller nulle part ? Qui fait reculer le déclic toujours dans les parages mais jamais sous mes doigts ? Qui fait n’allumer jamais franchement la lumière ?
Je suis nue, sans confiance, avec ce sentiment partagé de gâcher, d’être extrêmement capable et de n’en faire incroyablement rien. D’avancer sur les doigts d’une main parce que ça fait plus mal et qu’on ira moins loin.
J’enrage, étouffe, trépigne, angoisse du vide en soi.
Dérangée mais consciente, je m’en mords par avance les doigts.
* image : daydreams, Nikki Chicoine